Cellule de lieu

Distributions spatiales de l'activité neuronale de 7 cellules de lieux différentes enregistrées dans le champ CA1 de l'hippocampe d'un rat. Le rat a effectué plusieurs centaines de fois dans le sens des aiguilles d'une montre un parcours triangulaire, s'arrêtant pour des boulettes de nourritures données par l'expérimentateur. Chaque point noir indique la position de la tête du rat à un instant donné et les points de différentes couleurs correspondent aux potentiels d'action enregistrés dans chacun des 7 neurones. On voit ainsi que la cellule de lieu dont les potentiels d'actions sont codés en vert a un champ de lieu situé dans la partie inférieure droite du terrain[1].

Les cellules de lieu sont des neurones de l'hippocampe dont le champ récepteur (dit champ de lieu) est défini par une zone spatiale donnée sur une carte cognitive, qui est une carte mentale de l'environnement. Chaque cellule de lieu s'active donc quand l'animal se trouve dans le champ récepteur qui lui est associé. Les scientifiques pensent que les cellules de lieu travaillent collectivement et forment une représentation cognitive d'un emplacement spécifique dans l'espace[2]. Les cellules de lieu interagissent avec d'autres types de neurones dans l'hippocampe et les régions voisines pour réaliser ce type de traitement spatial[3], mais la façon dont elles fonctionnent au sein de l'hippocampe est toujours l'objet de recherches[4]. Les cellules de lieu s'activent quand un animal arrive à un endroit déterminé de son environnement[5]. Des études sur les rats ont montré que les cellules de lieu ont tendance à s’activer rapidement quand un rat entre dans un nouvel environnement ouvert. En dehors des champs de tir, les cellules de lieu ont tendance à être relativement inactives[6]. Pour une cellule de lieu donnée, il existe un certain nombre de champs de lieu correspondants. Ce nombre est proportionnel à l'étendue de l'environnement[7]. Contrairement à d'autres zones du cerveau telles que cortex visuel, il n'y a pas topographie apparente dans la configuration des champs de lieu. Deux cellules de lieu voisines ne sont pas plus susceptibles d'avoir des champs de lieu voisins que deux cellules éloignées[8]. Placées dans un nouvel environnement différent, environ la moitié des cellules de lieu se voit attribuer un nouveau champ de lieu correspondant à un nouvel emplacement sans rapport avec les anciens[9]. Les modes d'activation des cellules de lieu sont déterminés par l'information sensorielle et l'environnement local. Les cellules de lieu ont la capacité de changer rapidement leur schéma d’activation. Ce phénomène est connu sous le nom « recartographie » et si les cellules de lieu peuvent changer en fonction de l'environnement extérieur, elles sont aussi stabilisées par la dynamique d'attraction qui « [permet] au système d’encaisser de petits changements de l'entrée sensorielle et de répondre collectivement et de manière cohérente aux changements plus importants »[5].

Bien que les cellules de lieu fassent partie d'un système cortical non sensoriel, leur activité est fortement corrélée aux signaux sensoriels.Ces circuits pourraient avoir des implications importantes pour la mémoire, car elles fournissent le contexte spatial des souvenirs et des expériences passées[10]. Comme beaucoup d'autres parties du cerveau, les réseaux de cellules de lieu sont dynamiques. Ils se réajustent constamment et reconfigurent leurs connexions en fonction de l'emplacement actuel et de l'expérience du cerveau. Les cellules de lieu ne travaillent pas seules pour créer la représentation spatiale. Elles font partie d'un circuit complexe qui permet d’avoir conscience du lieu présent et des lieux mémorisés[10].

Modes de tir spatial de 8 cellules de lieu enregistrées à partir de la couche CA1 d'un rat. Le rat allait et venait le long d'une voie surélevée, s’arrêtant à chaque extrémité pour manger une petite récompense de nourriture. Les points indiquent les positions où les potentiels d'action ont été enregistrés, les couleurs indiquant quel neurone a émis le potentiel d'action.
Modes de tir spatial de 8 cellules de lieu enregistrées à partir de la couche CA1 d'un rat. Le rat allait et venait le long d'une voie surélevée, s’arrêtant à chaque extrémité pour manger une petite récompense de nourriture. Les points indiquent les positions où les potentiels d'action ont été enregistrés, les couleurs indiquant quel neurone a émis le potentiel d'action.

D'un point de vue expérimental, on identifie souvent ces neurones par des enregistrements électrophysiologiques chez un animal qui parcourt un espace délimité : les cellules de lieu sont caractérisées par le fait que leur activité est maximale lorsque l'animal se trouve à un endroit précis du terrain. Ces cellules de lieu se distinguent d'autres types de neurones dont l'activité peut aussi être modulée par des éléments spatiaux (cellules de grille, cellules de bordures) ou liée à la locomotion (cellules de direction de la tête...). Dans les champs CA1 et CA3 de l'hippocampe, les neurones constituant les cellules de lieu sont supposés être principalement de type pyramidal tandis qu'au sein du gyrus denté il s'agit de neurones granulaires[11].

Les cellules de lieu ont d'abord été découvertes chez le rat en 1971[12]. C'est sur la base d'observations empiriques que John O'Keefe et Lynn Nadel en sont venus à formuler l'hypothèse que la fonction primordiale de l'hippocampe était de constituer une carte cognitive de l'environnement dans lequel évolue l'animal[2]. Par la suite, en 2003, des cellules de lieu ont aussi pu être identifiées chez l'humain en réalisant des enregistrements électrophysiologiques chez des patients implantés avec des électrodes dans l'hippocampe[13].

Le prix Nobel de physiologie ou médecine 2014 a été décerné à John O'Keefe pour la découverte des cellules de lieu, et à Edvard et May-Britt Moser pour la découverte des cellules de grille[14],[15].

  1. (en) Skaggs WE, McNaughton BL, « Replay of neuronal firing sequences in rat hippocampus during sleep following spatial experience », Science, vol. 271, no 5257,‎ , p. 1870–3 (PMID 8596957, DOI 10.1126/science.271.5257.1870, Bibcode 1996Sci...271.1870S, lire en ligne).
  2. a et b (en) O'Keefe, John, Nadel, Lynn, The Hippocampus as a Cognitive Map, Oxford University Press, (ISBN 0-19-857206-9, lire en ligne).
  3. G. M. Muir et D. K. Bilkey, « Instability in the place field location of hippocampal place cells after lesions centered on the perirhinal cortex », The Journal of Neuroscience: The Official Journal of the Society for Neuroscience, vol. 21,‎ , p. 4016–4025 (ISSN 1529-2401, PMID 11356888, lire en ligne, consulté le ).
  4. (en) Redei, George, Encyclopedia of Genetics, Genomics, Proteomics, and Informatics, , 2201 p. (ISBN 978-1-4020-6753-2, lire en ligne), p. 1501.
  5. a et b Kathryn J. Jeffery, « Integration of the sensory inputs to place cells: what, where, why, and how? », Hippocampus, vol. 17,‎ , p. 775–785 (ISSN 1050-9631, PMID 17615579, DOI 10.1002/hipo.20322, lire en ligne, consulté le ).
  6. J. Bures, A. A. Fenton, Yu. Kaminsky et L. Zinyuk, « Place cells and place navigation », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 94,‎ , p. 343–350 (ISSN 0027-8424, PMID 8990211, PMCID 19339, lire en ligne, consulté le ).
  7. André A. Fenton, Hsin-Yi Kao, Samuel A. Neymotin et Andrey Olypher, « Unmasking the CA1 ensemble place code by exposures to small and large environments: more place cells and multiple, irregularly arranged, and expanded place fields in the larger space », The Journal of Neuroscience: The Official Journal of the Society for Neuroscience, vol. 28,‎ , p. 11250–11262 (ISSN 1529-2401, PMID 18971467, PMCID 2695947, DOI 10.1523/JNEUROSCI.2862-08.2008, lire en ligne, consulté le ).
  8. (en) John O'Keefe, Neil Burgess, James G. Donnett et Kathryn J. Jeffery, « Place cells, navigational accuracy, and the human hippocampus », Philosophical Transactions of the Royal Society of London B: Biological Sciences, vol. 353,‎ , p. 1333–1340 (ISSN 0962-8436 et 1471-2970, PMID 9770226, PMCID 1692339, DOI 10.1098/rstb.1998.0287, lire en ligne, consulté le ).
  9. R. U. Muller et J. L. Kubie, « The effects of changes in the environment on the spatial firing of hippocampal complex-spike cells », The Journal of Neuroscience: The Official Journal of the Society for Neuroscience, vol. 7,‎ , p. 1951–1968 (ISSN 0270-6474, PMID 3612226, lire en ligne, consulté le ).
  10. a et b David M. Smith et Sheri J. Y. Mizumori, « Hippocampal place cells, context, and episodic memory », Hippocampus, vol. 16,‎ , p. 716–729 (ISSN 1050-9631, PMID 16897724, DOI 10.1002/hipo.20208, lire en ligne, consulté le ).
  11. E. Moser, E. Kropff et M. Moser, « Place cells, grid cells, and the brain's spatial representation system », Annual review of neuroscience, vol. 31,‎ , p. 69–89 (ISSN 0147-006X, PMID 18284371, DOI 10.1146/annurev.neuro.31.061307.090723) modifier.
  12. (en) O'Keefe J, Dostrovsky J, « The hippocampus as a spatial map. Preliminary evidence from unit activity in the freely-moving rat », Brain Res., vol. 34, no 1,‎ , p. 171–5 (PMID 5124915, DOI 10.1016/0006-8993(71)90358-1, lire en ligne).
  13. (en) Ekstrom AD, Kahana MJ, Caplan JB, et al., « Cellular networks underlying human spatial navigation », Nature, vol. 425, no 6954,‎ , p. 184–8 (PMID 12968182, DOI 10.1038/nature01964).
  14. « The Nobel Prize in Physiology or Medicine 2014 », sur www.nobelprize.org (consulté le ).
  15. (en) Kiehn, Ole; Forssberg, Hans, « Scientific Background: The Brain's Navigational Place and Grid Cell System », Karolinska Institute,‎ (lire en ligne).

From Wikipedia, the free encyclopedia · View on Wikipedia

Developed by Nelliwinne